Maghnia, à l’approche et pendant le mois sacré, accueille plus de visiteurs que le nombre de sa population. But du voyage : s’approvisionner en épices. Evidemment !
Une marque déposée de la ville, même si cette dernière n’en cultive ni produit pas un gramme. C’est tout le mystère d’une étiquette héritée de la période où la frontière terrestre entre l’Algérie et le Maroc, fermée depuis 1994, était perméable. Pourtant, cadenassée ou pas, la frontière n’a pas altéré d’un iota cette activité commerciale, encore mois la réputation d’une cité de plus de 240 000 habitants se noyant dans les arômes culinaires à longueur d’année.
Depuis la nuit des temps, le nom de l’ancienne Numerus Syrorum rimait avec cannelle, poivre noir, gingembre, cumin, curcuma, safran... Des ingrédients indispensables dans les plats algériens. Mais qu’est-ce qui fait déplacer autant de familles des quatre coins du pays dans cette agglomération de l’extrême ouest du pays, alors que les épices sont commercialisées partout dans les magasins algériens ?
Si la recette et le secret de cette particularité demeurent «ensevelis» dans un pacte entériné au fil des ans entre les commerçants, la spécificité des produits exceptionnels maghnaouis est ressentie déjà sur les étals du marché couvert : les boutiques (le terme n’est pas exagéré) étalent leurs produits en forme de pyramides et de dunes aux couleurs chatoyantes.
De véritables oeuvres d’art dessinées par des artisans ayant aussi le don de goûteurs. Par l’odorat et la vue. Pour le commun des mortels — c’est ce qui fait la différence entre les uns et les autres — à des dizaines de mètres, l’éternuement est garanti. Fait ubuesque : au célèbre marché, les éternuements se confondent avec le brouhaha de la foule. Cependant, si les épiciers continuent d’exercer cette activité — par amour et pour une rentabilité honnête — le métier en lui-même est menacé non pas par la relève (qui existe), mais par le tarissement de sa source. Le Maroc.
Asiatiques ?
«La fermeture de la frontière, puis le durcissement des mesures de sécurité sur le tracé frontalier, depuis près de trois ans, nous inquiètent fortement. On a beau dire que les épices asiatiques sont bonnes et disponibles grâce aux importateurs, la vérité est là : rien ne vaut le produit marocain. J’ai goûté les épices du Sri Lanka et d’Inde et j’ai été sidéré.
Est-ce qu’elles sont aussi mauvaises à l’origine ou — et c’est vraiment grave et dangereux — sont-elles mélangées avec d’autres ingrédients et/ou des additifs chimiques ? Je me pose vraiment la question», s’insurge Abdallah, la quarantaine, ayant hérité le métier de son père. Une inquiétude partagée par un gros client de Bordj Bou Arréridj, rencontré sur les lieux : «Je gère une épicerie où je mets en exergue et en valeur le ‘label Maghnia’, ma clientèle vient pour ça, c’est pourquoi je viens m’approvisionner dans cette ville et toujours chez le même fournisseur.
Le rapport prix/qualité est intéressant.» Et de renchérir presque automatiquement, sans qu’on lui ait demandé une comparaison ou une précision : «Croyez-vous que je n’ai pas essayé les épices importées du Pakistan, de Turquie et d’Inde ? Je les aurais adoptées en dégageant plus de bénéfices, j’aurais gagné du temps aussi, mais je vous jure qu’elles n’égaleront jamais celle de Maghnia.
Je dirais que les épices de Maghnia sont pures.» Ahmed, soixante ans et près de quarante ans dans ce commerce, gère son activité à la rue Tindouf, dans le centre-ville de Maghnia, à quelques encablures du marché couvert. Dans son échoppe, il faut faire la queue pour se faire servir. «Le secret de notre renommée ?
Nous ne trichons pas, nous préparons nos épices nous-mêmes, avec notre expérience, notre savoir-faire et notre honnêteté. Chose que tout le monde ne fait pas. C’est comme le café, tout le monde en importe, mas tous n’ont pas le même goût, la même saveur... C’est peut-être pour cela que tout le monde cherche à connaître notre recette» dit-il avec un large sourire.
La fête
Abondant dans le même sens, le co-gérant souligne : «Ce n’est pas le métier d’un jour. Pour perdurer et garder sa notoriété, on doit sauvegarder la qualité, nos arômes et nos saveurs.» Pour Wassini, épicier, «il est vrai que notre chiffre d’affaires augmente en cette période, mais nous maintenons la cadence toute l’année, avec des pics les vendredi, samedi et pendant les vacances.
Comme vous le savez certainement, notre ville connaît un rush de touristes nationaux les week-ends et les vacances pour visiter ses stations thermales de Hammam Chigueur et Hammam Boughrara, pou goûter sa galette, voir de près la frontière... et acheter des épices !» Et c’est dans ce contexte que Ahmed Belkhir, militant de la société civile, a «institutionnalisé» l’année dernière la Fête des épices.
A l’instar d’autre villes algériennes qui fêtent les fraises, les cerises, ou les oranges. Une sorte de braderie où les visiteurs découvrent les épices, à bas prix, pour ceux qui ne les connaissent pas, mais aussi pour faire connaître tous les autres richesses de la région. «Nous avons des atouts culturels et historiques. Notre réputation nous la devons, entre autres, à nos épices, notre h’rira (soupe)...
C’est une rencontre de convivialité dans une ville connue ou son hospitalité.» Cette année, en cette période qui enregistre la venue d’un flux humain, des jeunes se sont portés volontaires pour servir de guide aux visiteurs. «Nos montrons les bons coins, boutiques, parkings, sanitaires, chemins, nous les accompagnons pendant leurs emplettes pour les aider, les conseiller et les rassurer que c’est une ville paisible en général», explique Yacine, 25 ans. Au pays des épices, le client éternue agréablement, mais emporte dans ses bagages le vrai sésame pour une h’rira exceptionnelle. Pour peu que la cuisinière sache y mettre du sien...
Sources :